TEMOIGNAGE D'ETUDIANTS - La pauvreté n'est pas une fatalité


Mon histoire se situe dans une pauvre maison aux murs de palmes et de toit de zinc. 20 mètres sur 13, des fuites partout et 4 personnes faibles à l'intérieur: une grand mère, sa fille et ses deux petits enfants. Une des petites filles, c'est moi; je m'appelle SENG Loumang.


Je suis née moins d'un an après ma soeur, j'étais très maigre car ma mère avait failli mourrir lors de l'accouchement et avait peu de lait par la suite. Il paraît que je pleurais sans cesse de faim la nuit jusqu'à ce que ma mère ou ma grand mère se réveillent. Mon père nous avait déjà quittées, je ne l'ai jamais connu mais je sais que nous aurions pu être trois car ma mère avait aussi avorté une fois. Nous n'avons aucune autre famille car tous mes proches parents -mon grand-père, mes oncles et mes tantes- sont morts sous Pol Pot.

Quand j'avais 2 ans, ma grand-mère est partie travailler en Thaïlande. Ma mère nous élevait seule, courageusement, en travaillant comme tailleuse. Quand ma grand-mère est revenue au Cambodge, elle avait quelques économies qui nous permirent d'acheter un cochon. Malheureusement, elle tomba rapidement malade et nous dûmes le revendre pour payer les frais de santé.

J'avais alors 6 ans et, avec ma soeur, nous sommes entrées toutes les deux en CP en même temps. J'étais une élève différente des autres, j'adorais l'école et très vite, je fus la meilleure de la classe. Tout le primaire se passa ainsi, ma mère continuait son travail de tailleuse, le complétait à la moisson du paddy (nom donné au riz avec son enveloppe, non décortiqué) et espérait bien pouvoir acheter un nouveau cochon. En grade 4 (CM1), je me souviens très bien de la mort de ma grand mère paternelle: plus rien ne me rattachais à mon père et les autres se moquaient de moi qui étais élevée par une mère seule. Je ne contrôlais ma colère qu'en pensant à la mère formidable que j'avais.

Après avoir terminé mon primaire, je continuais au collège de Prah Neih Prah où je rencontrais mes meilleurs amis. Ce fut cette fois autour de ma grand mère maternelle de tomber malade. Ma mère l'accompagna au dispensaire et nous laissa seule à la maison. Nous avons eu très peur et fûmes très heureuse de leur retour à toutes les deux.

Le 5 juillet 2010, ma soeur et moi avons passé l'examen national de grade 9 (brevet des collèges) et l'avons réussi sans problème. Nous étions très heureuses de pouvoir poursuivre ensembles nos études. Le lycée était à plus de 5 kms de la maison, aussi nous nous y rendions à vélo avec nos amies: tous les matins, nous partions à 5h30. En revanche à partir du lycée, ma soeur et moi ne fûmes plus dans la même classe.
Je travaillais très dur car je ne voulais pas que les gens du village aient raison: ils disaient tous à ma mère qu'elle ferait mieux de nous envoyer à l'usine ou en Thaïlande plutôt qu'à l'école! Mes efforts furent récompensés car en Août j'obtins mon bac et en même temps la bourse d'Enfants du Mékong pour pouvoir poursuivre mes études à l'université.

Je n'étais allée qu'une fois à Phnom Penh pour les funérailles de ma grand mère paternelle et je me sentais vraiment très petite et très seule dans le bus qui m'emmenait en septembre pour passer les concours de l'ITC (Institut de Technologie du Cambodge - ndlr Polytechnique pour les français)! Ma mère et ma soeur me manquaient énormément. Les premières nuits furent blanches et tristes mais j'avais réussi. Quelle belle revanche sur la vie que la promesse d'être ingénieur pour la "fille sans père"?

Alors à tous les jeunes pauvres je voudrais dire que les efforts peuvent venir à bout de tous les obstacles mais pour cela il faut s'engager, persévérer et surtout combattre l'ignorance. Nous sommes nés pauvres, nous n'y pouvons rien mais la pauvreté n'est pas une fatalité, l'éducation peut nous sortir de la pauvreté et nous rendre notre dignité.

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